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Le déchiffrement des hiéroglyphes
 
 
 

      Des treize hiéroglyphes composant les deux cartouches, Young en avait identifié la moitié parfaitement, et avait presque réussi pour un autre quart. Il avait aussi repéré exactement le symbole déterminant le féminin, placé après les noms des reines ou des déesses. En particulier, l'apparition du hiéroglyphe deux plumes dans les deux cartouches, mis pour i dans les deux cas, aurait dû prouver à Young qu'il était sur la bonne piste et l'encourager à poursuivre. Pourtant, il suspendit brutalement ses travaux. Les arguments de Kircher pour une interprétation des hiéroglyphes comme idéogrammes semblent avoir lourdement pesé sur Young, et il n'était pas préparé à s'opposer à ce paradigme. Il expliqua ses propres découvertes phonétiques par l'origine de la dynastie des Ptolémée qui descendait de Lagus, un général d'Alexandre le Grand. Autrement dit, les Ptolémée étaient des étrangers, et Young supposait que leurs noms avaient été épelés phonétiquement parce qu'ils ne répondaient pas à un simple idéogramme de la liste des hiéroglyphes. Il résuma sa pensée en comparant les hiéroglyphes aux caractères chinois, sur lesquels les Européens commençaient à se pencher :

      Il est extrêmement intéressant de refaire le chemin par lequel l'écriture alphabétique a découlé de l'écriture hiéroglyphique un processus qui peut dans une certaine mesure être illustré par la manière dont le chinois moderne exprime une combinaison étrangère de sons, les caractères étant rendus phonétiques par une simple marque appropriée, au lieu de garder leur habituelle signification; cette marque, dans l'impression de certains livres, ressemblant beaucoup à l'anneau entourant les noms hiéroglyphiques.

      Young commenta ses activités en les qualifiant de " distraction de quelques heures de loisir ". Il se désintéressa des hiéroglyphes et mit une conclusion à ses travaux en les exposant dans un article pour l'édition de 1819 du Supplément à l'Encyclopedia Britanica.

 

      À la même époque, en France, un jeune linguiste, Jean-François Champollion, était prêt à mener les idées de Young jusqu'à leur conclusion naturelle. Bien qu'âgé de moins de trente ans, Champollion se passionnait pour les hiéroglyphes depuis bientôt vingt ans. Cette passion était née en 1800, après une visite chez le mathématicien Jean-Baptiste Fourier, qui avait été l'un des savants emmenés en Égypte par Napoléon. Fourier lui montra sa collection d'antiquités égyptiennes, dont beaucoup portaient des inscriptions bizarres, et il lui expliqua que personne ne savait traduire cette écriture. Sur quoi le jeune garçon promit, du haut de ses dix ans, qu'il résoudrait un jour ce mystère. À dix-sept ans, il publiait un article intitulé L'Égypte sous les pharaons, tellement novateur qu'il fut immédiatement nommé professeur à l'académie de Grenoble. Lorsqu'il apprit qu'il obtenait un tel poste à son âge, Champollion fut si bouleversé qu'il s'évanouit.

      Champollion continua à stupéfier ses pairs, maîtrisant le latin, le grec, l'hébreu, l'éthiopien, le sanscrit, le pehlvi, le syrien, le chaldéen, l'arabe, le persan, le chinois et le zend, afin de posséder les armes nécessaires pour donner l'assaut aux hiéroglyphes. Un jour de 1808, il rencontra dans la rue l'un de ses vieux amis qui lui apprit que le célèbre égyptologue Alexandre Lenoir venait de publier un déchiffrement complet des hiéroglyphes. Champollion en fut tellement affecté qu'il s'effondra sur le trottoir; il semble qu'il avait l'évanouissement facile. Toute sa raison de vivre consistait à être le premier qui lirait les écritures des anciens Égyptiens. Heureusement pour lui, les déchiffrements de Lenoir étaient aussi fantaisistes que ceux de Kircher, et la course restait ouverte.