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Le déchiffrement des hiéroglyphes
 
 
 

      En 1822, Champollion appliqua la méthode de Young à d'autres cartouches. Le naturaliste anglais W.J. Bankes avait rapporté dans le Dorset un obélisque portant des inscriptions qui incluaient les cartouches de Ptolémée et de Cléopâtre, et il en publia des lithographies; Champollion s'en procura une copie et assigna des valeurs phonétiques aux hiéroglyphes (tableau suivant).

 
Déchiffrement par Champollion des cartouches de Ptolémée et Cléopâtre sur l'obélisque de Bankes.


      Les lettres p, t, o, l et e sont communes aux deux cartouches; dans quatre cas, elles incarnent le même son à la fois dans Ptolémée et Cléopâtre, et dans un seul cas, t, il y a une différence. Champollion supposa que le son t pouvait être représenté par deux symboles, exactement comme le son du c dur en français peut-être engendré par c ou k, comme dans " culture " et " kilo ". Encouragé par sa réussite, Champollion commença à s'attaquer à des cartouches portant une inscription dans une seule langue, et chaque fois que c'était possible il substitua aux hiéroglyphes les valeurs phonétiques qu'il avait déduites des cartouches de Ptolémée et de Cléopâtre. Son premier cartouche mystérieux (tableau suivant) portait l'un des noms les plus célèbres de l'Antiquité.

 
Déchiffrement par Champollion du cartouche de Alksentrs (Alexandre).


      Il sembla évident à Champollion que le cartouche (a-l- ?-s-e- ?-t-r- ?) représentait le nom alksentrs - Alexandre en grec. Champollion jugea aussi que les scribes n'aimaient pas utiliser les voyelles, et les omettaient souvent; on supposait que le lecteur n'aurait aucun problème pour deviner les voyelles manquantes. Avec deux hiéroglyphes de plus à son actif, le jeune savant étudia d'autres inscriptions, et déchiffra une série de cartouches. En fait, ce travail ne faisait que poursuivre celui de Young. Tous ces noms - Alexandre, Cléopâtre - étaient des noms étrangers, ce qui renforçait la théorie d'une utilisation des phonétiques réservée aux mots ne figurant pas dans le lexique égyptien usuel.

      Le 14 septembre 1822, Champollion reçut des reliefs provenant du temple d'Abou Simbel qui comportaient des cartouches antérieurs à la période de domination gréco-romaine, et donc assez anciens pour contenir des noms traditionnels égyptiens. Et pourtant ceux-ci étaient épelés, ce qui rendait évident que ce traitement n'était pas réservé aux noms étrangers. Champollion se concentra sur un cartouche ne portant que quatre hiéroglyphes . Les deux premiers symboles étalent inconnus, mais celui qui était répété à la fin crosses de deux bergers, figurait déjà dans le cartouche d'Alexandre (alksentrs) et l'on savait depuis son déchiffrement qu'il représentait le s. Le cartouche signifiait donc (?- ? -s-s). À ce moment-là, Champollion fit appel à son vaste savoir linguistique. La langue copte, qui avait succédé à la langue égyptienne antique, avait cessé d'être une langue vivante au XIe siècle. Mais elle était restée en usage, sous une forme figée, dans la liturgie de l'Église chrétienne copte. Champollion avait appris le copte pendant son adolescence, et le maîtrisait si bien qu'il s'en servait dans son journal intime. Jusque-là, pourtant, il n'avait jamais envisagé que le copte pût être la langue des hiéroglyphes.

      Champollion se demanda si le premier signe du cartouche, le disque , n'était pas un idéogramme représentant le soleil, autrement dit une image du soleil utilisée comme symbole pour le mot soleil. Par pure intuition, il supposa que l'idéogramme était là pour évoquer le son du mot copte pour soleil, ra. Cela donnait la suite (ra- ?-s-s). Un seul nom de pharaon pouvait convenir. En tenant compte de l'agaçante suppression des voyelles et en imaginant que la lettre manquante était m, on avait là le nom de Ramsès, l'un des plus grands pharaons et l'un des plus anciens. Ainsi, le voile était levé. Même les noms traditionnels de l'Antiquité étaient épelés phonétiquement. Champollion surgit dans le bureau de son frère en criant " Je tiens l'affaire " mais, une fois encore, il fut terrassé par sa passion pour les hiéroglyphes. Il s'effondra sur place, et dut garder le lit pendant cinq jours.